DU PÈRE AU PIRE... / MADININ'ART
«Ne croyez pas que je ne l’aime pas cet enfant » : du père au pire…
18 mai 2017
A voir sans faute!
— Par Roland Sabra —
La compagnie l’Autre Bord de Guillaume Malasné laboure le champ de la pratique amateure depuis longtemps. Elle le fait avec méthode, rigueur et talent comme en témoignent les restitutions annuelles qu’elle offre au grand public lors du Festival de Théâtre Amateur de Fort-de-France. L’an dernier, en 2016, elle proposait « La réunification des deux Corées » une adaptation de la pièce de Joël Pommerat. Elle poursuit dans la même voie, mais en l’infléchissant, cette année avec «Ne croyez pas que je ne l’aime pas cet enfant ». Le travail se compose de lectures de deux pièces différentes mais qui s’articulent autour d’un questionnement sur la famille comme lieu d’amour. La première est « Cet Enfant » toujours de Pommerat, la seconde est « Festen » de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, adaptation du film éponyme Prix du Jury à Cannes en 1998. Déjà ce thème était abordé dans « La réunification.. » avec l’impossibilité de la relation amoureuse en ce qu’elle est porteuse d ‘imaginaire, de leurre de tromperie du fait que d’une certaine manière « C’est son propre moi qu’on aime dans l’amour, son propre moi réalisé au niveau imaginaire. » ( Lacan). Comment sortir de cette nasse narcissique dans laquelle l’autre n’est qu’objet ? Aimer se résume-t-il à apprendre à être dupe et des autres et de soi-même ?
La première partie, une reprise donc de quelques scènes de « Cet enfant là » s’inscrit dans la droite ligne du travail de l’an dernier. Sous la carapace de l’amour parental ou filial transpire à grosses gouttes, la haine. Là encore la mort est la sœur de l’amour. La mère qui veut le bien de sa fille et celle -ci qui ne veut pas en être dépossédée, l’enfant absolument indifférent au chantage affectif d’un père du dimanche qui peut bien disparaître, la mère totalitaire jalouse de la petite marge d’autonomie de son fils qu’elle cherche à culpabiliser. Dans la triangulation amour-mère-mort les postures son infinies. Le texte de Pommerat, très travaillé à partir d’entretiens menés auprès de nombreux parents pour le compte de la CAF du Calvados est saisissant par son intensité dramatique qui va toujours crescendo pour exploser à son acmé et laisser le spectateur tétanisé. Tout cela, au delà du texte repose sur le jeu des comédiens réglé au millimètre. En peu de temps l’atmosphère bon enfant, doit laisser place au doute, à l’interrogation puis à l’effroi. Pour tout comédien c’est une gageure. En terme de techniques théâtrales cette partie du spectacle est la plus réussie avec des jeux de lumières qui toujours découpent dans une opposition de contrastes des lieux de paroles et de non-dits. Mais curieusement, la vivacité de la troupe semble déjà dans l’ailleurs de la seconde partie.
Festen est sans aucun doute le travail le plus difficile que Guillaume Malasné et Caroline Savard ont mené avec des amateurs. La thématique, aussi vieille que le monde, l’inceste, est abordée à propos d’une réunion à l’occasion des soixante ans d’un pater familias, Helge, dans le plein exercice de sa patria potestas sur femme, enfants et domestiques, faute d’esclaves ! Sont convoqués tantes, grand-parents, amis de longue date, enfants à l’exception de Linda la sœur jumelle de Christian le fils aîné. On comprendra qu’elle s’est suicidée. Il y a la mère emmurée dans un silence complice, Hélène l’autre sœur, qui sait mais qui n’en veut rien savoir et le petit dernier, Mikaël le mal aimé, que l’on a éloigné très tôt en pension, aujourd’hui alcoolique aboyeur rongé par la violence. Christian s’y reprendra à plusieurs fois pour soulever la chape de plomb comme mû par une force interne qui le dépasse et le pousse, héros tragique, à accomplir son destin. A révéler l’ignominie. Helge pendant des années a violé ses enfants dans la silence de la mère.
Une des difficultés de la mise en scène tient à l’alternance de scènes intimes et de scènes de groupe, de scènes d’intérieur et de scènes d’extérieurs, ce à quoi s’ajoute le challenge de faire tenir un rôle à quinze ou vingt personnes, selon les adaptations. Si théâtralement « Festen » était moins abouti que« Cet enfant » c’est néanmoins la partie de la soirée qui a été la plus captivante. Le public ne s’y est pas trompé qui a salué le spectacle d’une longue salve d’applaudissements. Peut-être parce que 80 % des violences sexuelles ont pour auteur un proche ou un membre de la famille, peut-être parce que toute cellule familiale conserve en ses placards quelque cadavre que l’on feint d’ignorer et dont le silence hurle dans la terreur des nuits, des rêves et des cauchemars, peut-être parce que les secrets de famille se transmettent d’autant plus facilement qu’ils sont tus, peut-être, peut-être… Et si les personnages principaux pouvaient être incarnés avec plus de subtilité, plus d’ambivalence, plus d’épaisseur, si les placements et déplacements plus assurés, si Pia la servante à la fois amante et planche de salut de Christian avait pu être représentée, si les lumières avaient été plus en adéquation avec le propos, si la troupe avait consacré la totalité de son travail de l’année à « Festen » et fait l’impasse sur « Cet enfant », si… On connaît la chanson. Reproches ou regrets inutiles, ce qui est, est dèjà bien.
En tout cas est-il qu’il est jouissif de constater les progrès des membres de cette troupe d’une année sur l’autre, la confiance qu’ils prennent en eux-mêmes, l’aplomb dont ils n’hésitent pas à faire preuve. Parmi cette troupe, qui semble soudée, sont apparus cette année enfant et adolescent capables de donner la réplique aux comédiens plus aguerris à la hauteur de leur rôles. Ce n’est pas rien.
Fort-de-France le 18/05/2017,
R.S.